« Il manquait pas grand-chose mais on était trop loin »

28 juin, Paris. Nous retournons à la fan zone des Halles avec mon conjoint. La pluie et les températures fraiches ont laissé place à une météo caniculaire, les matchs de poule aux matchs à élimination directe. Entre l’université où je travaille et la fan zone, j’ai croisé plusieurs personnes parées du maillot de l’équipe de France, d’autres des drapeaux sur les joues. Pour celles et ceux qui n’ont pas anticipé, des bénévoles, sticks tricolores en main, décorent nos joues pendant que nous faisons la queue pour entrer.

A l’intérieur de la fan zone, les pelouses sont déjà largement occupées. Les équipes de télévision et de radio sont présentes en nombre. Au milieu de la foule aux couleurs tricolores, qui semble plus jeune, plus féminine et plus familiale que la première fois, je repère des supporters américains (un maillot floqué Morgan, un autre Lloyd). Les gens sont venus en petits groupes, certains se sont installés pour pique-niquer, d’autres pour jouer aux cartes.

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Nous allons chercher des bières à une buvette située dans la zone de restauration que nous n’avions pas repérée lors de notre première venue, derrière les écrans, à l’ombre. Un glacier et plusieurs food trucksoffrent une nourriture variée : burgers, bricks, pizzas, etc. Une terrasse est installée avec une télé et plusieurs activités rappellent le football, dont un mini-terrain et un babyfoot, où s’affairent des enfants, filles et garçons mélangés.

Dans la queue, deux jeunes trentenaires derrière nous discutent. La femme trouve « injuste » que les écrans de la fan zone soient si petits alors que « pour les hommes y avait des maxi écrans » (lors de l’Euro 2016, à Bordeaux). Son camarade masculin s’est manifestement fait interroger par la télévision peu avant, mais il reconnaît que c’est elle qui aurait dû l’être, car elle s’y connait probablement mieux que lui. Il dit avoir juste vu un match « en mode afterwork » : à la sortie de son travail, il est venu se poser, seul, avec son costume et son attaché-case, à la fan zone. Il dit qu’il ne connaît pas les joueuses françaises. Quant à elle, elle a vu plusieurs matchs et raconte qu’elle voulait aller dans un bar la veille pour voir Angleterre-Norvège mais n’a trouvé personne pour l’accompagner. Elle a alors renoncé à se rendre seule dans un bar. Son camarade commente : « J’avoue seule dans un bar, pour une fille en plus c’est pas top. Un mec encore il peut toujours se poser avec une bière et parler aux autres. » Elle répond qu’elle ne pense pas que ça change grand-chose qu’on soit une fille ou un garçon, et précise que lors de la Coupe du monde masculine, elle se trouvait à New York et allait dans les pubs seule pour suivre les matchs.

A 20h30, nous avons trouvé une place assise dans la pelouse, sur le côté gauche de la fan zone, relativement éloignés de l’écran. Derrière nous est installée une famille américaine, la mère et les deux jeunes garçons revêtus de tenues rouges de la sélection états-unienne. Le speaker tente de mettre l’ambiance : « Paris, est-ce que vous êtes là ? Allez, tout le monde debout ! » Réponse réticente du public : « Oh non ! ». Le speaker continue : « Nos amis américains, vous êtes là aussi ? Qui va gagner le match ? », « Allez, on se met en place pour un clapping. » Son insistance a raison d’une partie des spectateurs, qui consentent à se lever et à taper dans leurs mains en rythme. Il réclame ensuite une ola, avec encore moins de succès, et interpelle le public : « Alors, vous êtes endormis ? » Puis, il demande de faire du bruit, alternativement pour la France et les Etats-Unis.

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A 20h50, l’apparition du Parc des Princes sur les écrans est applaudie et saluée : « Ouais ! Le Parc des Princes ! », de même que celle des commentateurs. C’est l’heure des hymnes : deux drapeaux américains sont agités devant notre écran durant La Bannière étoiléepuis le public se lève pour La Marseillaise. La dernière coupure publicité permet au speaker, qui cherche toujours à déclencher l’enthousiasme, de lancer un nouveau clapping : « Allez les filles, vous êtes prêts ? » (sic), « J’entends rien, vous êtes prêts ? ». Un homme devant nous ne peut se retenir de dire qu’il n’aime pas ce speaker. Le match étant sur le point de commencer, un autre jeune homme estime, à destination de ses deux amies : « Ouais, non, on a nos chances hein. »

Le premier arrêt, rapidement advenu, de Sarah Bouhaddi est applaudi. Le carton jaune donné à Griedge Mbock est sifflé. Le but américain, avant cinq minutes de jeu, permet de se rendre compte qu’il y a de nombreux américains autour de nous, qui se lèvent et font du bruit. Le début du jeu n’a pas fait cesser les conversations privées, ce qui donne une sorte de brouhaha permanent. Des applaudissements se font entendre sur un tir d’Eugénie Le Sommer, sur un arrêt de Sarah Bouhaddi puis sur plusieurs beaux gestes individuels. Le jeune homme à côté de nous, commente, à propos d’un ralenti qui montre Kadidiatou Diani récupérer une balle : « c’est Diani qui a fait ça encore ? Putain elle est trop forte. C’est la plus belle joueuse de l’équipe. » Quelques secondes plus tard, sur un nouveau geste, il renchérit : « elle est vraiment très forte cette meuf. »

Le public encourage sur le coup franc tiré à la 40èmeminute. Peu avant la mi-temps, un « Allez les bleues » est esquissé sur la gauche de la fan zone et une nouvelle occasion française est accompagnée de cris. Sur une touche à l’avantage des Bleues, toujours le même jeune homme à côté de nous s’impatiente : « Faut jouer vite là, sérieux. » La dernière occasion de tir américaine donne quelques sueurs froides et le soulagement se fait sentir lorsque la mi-temps est sifflée. Les gens se lèvent, contraints par un homme chargé de la sécurité de la fan zone qui veut libérer un passage vers la sortie.

Nous retournons du côté de la zone de restauration, faisons la queue pour des burgers/frites et renonçons à prendre d’autres bières vu la file d’attente, qui n’a que peu bougé à la reprise du jeu. Nous n’avons alors plus le temps de chercher une nouvelle place assise sur les pelouses pleines et nous restons debout au bord de l’allée sur le côté droit du deuxième écran. Sur une occasion d’Eugénie Le Sommer, un homme à côté de nous râle : « Nulle, Le Sommer, non mais sérieux ! Elle est à deux mètres des cages. » Le public encourage avec plus de ferveur que durant la première mi-temps : on entend des cris, les bruits des applaudisseurs gonflables, des « Allez ! » répétés, des « Allez les Bleues », « Allez les filles », des « oh ! », « oh putain ! », « c’est chaud ! ».

Le but du 2-0 jette un froid, sauf chez les groupes d’américains. L’ambiance est retombée. Devant nous, dans un groupe de trois amis, une des filles quitte les lieux. A côté, un groupe de six jeunes adultes, trois hommes et trois femmes, discute. L’un des hommes est revenu les bras chargés de bières, qu’il est allé chercher durant le match. Deux des filles sont dos à l’écran. La troisième se hisse sur ses pointes de pied pour dépasser les têtes devant elle lorsqu’elle souhaite apercevoir l’écran. Sur le nouveau but américain, refusé pour hors-jeu, des huées se font entendre. Des « Allez les Bleues » résonnent de nouveau sur un coup franc, puis les tentatives françaises sont applaudies. Un corner donne lieu à des encouragements vifs. Le public semble de nouveau y croire.

A peine quelques minutes plus tard, à 22h37, le but français tant attendu arrive enfin, grâce à une tête de Wendie Renard. C’est une vraie délivrance pour la fan zone : un fumigène rouge est allumé, de la bière vole devant l’écran, des applaudissements évidemment, des drapeaux au vent, des « Allez les Bleues ! » repris en chœur. Bref, des scènes typiques d’une fan zone. A partir de là, des cris d’encouragements sont lancés dès que la France se rapproche de la surface de réparation. Les « Allez les Bleues ! » et, version courte, « Allez ! » ne cessent de se répéter. Le public, bras levés, réclame, de façon infructeuse, un penalty sur une main américaine, puis un coup franc sur une faute, cette fois-ci accordé. Les encouragements redoublent : « Allez, allez les Bleues ! », suivis rapidement d’un « oh… » de déception. Lorsque Megan Rapinoe, double butteuse du jour, sort du terrain, elle est à la fois sifflée et applaudie. Un homme devant nous commente « Elle a les cheveux roses putain ! ». L’heure tourne, il reste de moins en moins de temps pour espérer une égalisation, la foule s’impatiente. Un jeune garçon, debout sur un banc derrière nous, apostrophe : « Mais joue ! ».

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La fin du match est ponctuée de quelques applaudissements, très retenus. Tandis qu’une partie du public quitte immédiatement les lieux, l’autre profite de la relative fraicheur du jardin et prolonge sa présence. Nous nous rendons vers une buvette pour rendre nos Ecocups en échange des deux euros de consigne, ce qui n’est pas une partie facile, les caisses étant vides de monnaie. Un homme passe derrière moi et donne son sentiment sur le match : « Il manquait pas grand-chose mais on était trop loin. »

Dans le RER du retour, une dame d’une soixantaine d’années nous interpelle, du fait des drapeaux que j’ai toujours sur mes joues. « Qui a gagné ? » Ma réponse la déçoit. Elle dit avoir été étonnée que le match ait été joué malgré la chaleur. Quand je lui précise qu’il a été annoncé une température de 30° au Parc des Princes, elle répond : « Ah 30° ça va… Enfin, facile à dire quand on court pas. » Elle demande ensuite le score, et cela atténue sa déception : « Ca va c’est proche. On a perdu avec notre honneur. Elles avaient gagné 13-0 contre la Corée du Sud, c’est ça ? » Je confirme en rectifiant l’équipe adverse (Thaïlande ; la Corée du Sud ayant joué contre la France). Puis elle demande, confuse : « Mais c’était pas au Parc des Princes le match ? C’est pas par ici. » Le RER traverse en effet Paris depuis l’Est, alors que le Parc des Princes se trouve à l’Ouest. Nous lui précisons qu’il y avait une fan zone installée aux Halles et que les gens habillés et grimés aux couleurs de la France qu’elle a vu monter dans le wagon en viennent.

Mathilde Julla-Marcy, Paris

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